En septembre 1975, j’ai commencé mes études de guitare classique au département de musique au Collège Cambrian. Mon professeur de guitare, Bob Hamilton, montait de Toronto pour donner ses leçons. Il avait une collection énorme de partitions pour guitare classique, la plupart des éditions limitées, et il était toujours très content de la partager avec ses étudiants.
J’étais mordu. Peut-être parce que Bob avait le don de nous faire sentir que tout était possible musicalement si on y mettait les heures. Je pratiquais de six à huit heures par jour et de ces heures-là, deux ou trois dans le noir total. C’était la suggestion de Bob, une bonne façon, disait-il, d’apprivoiser les espaces entre les frettes sans regarder ses mains.
Bob encourageait ses étudiants à jouer ensemble. On a formé un quatuor, qu’on avait nommé le Turkey Quartet parce qu’on se sentait comme des dindes quand on essayait de jouer comme Bob. Le quatuor était composé de Verdell Finnamore, avec qui j’ai formé quelques années plus tard le trio folk-jazz Bedard, Duhaime & Finnamore; Nereo Biscaro, qui enseigna ensuite la guitare à un des guitaristes d’Alice Cooper; Camille Sénécal, de loin la meilleure guitariste du groupe, qui tristement a dû lâcher le programme avant la fin de l’année pour des raisons financières, et moi.
En 2e année à Cambrian, le département de musique partait en tournée promotionnelle dans les écoles secondaires du nord de l’Ontario, en espérant piquer l’intérêt de futurs musiciens. Je devais être plutôt bon, car on m’a demandé de jouer le Concerto en ré majeur pour guitare et cordes de Vivaldi. Le moment venu, j’étais tellement nerveux, mais j’ai tout de même réussi à jouer le morceau entier. Écoutez un extrait ici.
Mais est-ce que c’était une performance magique? Loin de là. C’est là que j’ai réalisé que je ne serais jamais un guitariste du calibre d’André Segovia et que ça serait peut-être une bonne idée de mettre plus d’efforts du côté de la théorie et de la composition si je voulais me payer mon Kraft Dinner dans le futur.
Mon prof de théorie musicale, Douglas Webb, était une force majeure, un homme très austère avec un double doctorat de Harvard et Eastman. C’était clair pour tous les étudiants que Doug savait absolument tout, qu’il n’avait plus rien à apprendre, qu’il était comme le quatrième membre de la Sainte Trinité en la matière.
Alors, imaginez ma surprise quand un jour, je suis entré dans son bureau pour le trouver assis, avec un grand sourire d’enfant à Noël, en train d’ouvrir un colis de la poste. Il en a sorti un livre, « Analyse schenkérienne », et m’a dit, tout excité, que ce livre expliquait une toute nouvelle approche pour l’analyse théorique d’œuvres longues. Et j’ai compris que même les experts de la musique n’arrêtent jamais d’apprendre. De toutes les choses que Doug m’a enseigné, c’est le goût d’en savoir plus, de toujours approfondir ses connaissances, qui est le plus beau cadeau qu’il m’ait donné.
Janvier 1977 a vu la naissance du groupe Bédard, Duhaime & Finnamore. Verdell Finnamore vivait maintenant dans la petite chambre à côté de la mienne dans le sous-sol d’une maison de la rue Sparks. Notre propriétaire, qui ne louait ses chambres qu’à des musiciens, était pâtissière au Trevi sur la Lasalle. Elle nous laissait souvent de petits cadeaux devant la porte quand elle revenait du travail. Si on arrêtait de pratiquer nos instruments pendant plus d’un jour, elle cognait sur nos portes pour voir si on était correct. Elle avait deux filles adolescentes qui étaient fans du groupe ABBA. On n’avait pas besoin d’alarme, parce qu’on se faisait réveiller tôt chaque matin au son de Dancing Queen ou de Mamma Mia.
Ma proximité avec Finnamore faisait qu’on jammait souvent et on a commencé à écrire des tounes ensemble. On a ensuite invité Raynald Duhaime, un bassiste à Cambrian. Il jouait une contrebasse acoustique, et aussi impossible que ça puisse sembler, l’emportait de place en place sur sa moto. Notre trio a duré à peu près un an, durant lequel on jouait aux festivals et à des concerts. Écoutez un de nos enregistrements “live” ici.
Malheureusement, on ne jouait pas assez souvent pour payer le loyer, alors en septembre 1977 j’ai pris un poste d’enseignement au Collège Cambrian, au programme Cambrian Extension. J’allais à Massey et à Espanola trois fois par semaine pour donner des cours de guitare et de piano. Le collège payait mon transport, ma chambre et un per diem et je me faisais 17 $ de l’heure. Je me sentais riche!
Ma meilleure étudiante était Zena Ottokar, qui à l’âge de 77 ans, avait décidé qu’elle voulait apprendre à jouer le piano qu’elle avait réussi d’une façon ou d’une autre à mettre dans la petite roulotte où elle vivait. En moins d’un an, elle jouait à un niveau de 8e année du conservatoire. INCROYABLE!
Restez à l’affût pour la prochaine partie du blogue Quarante ans en musique : la carrière de Dan Bédard !
Ce blogue a été rédigé par Dan Bédard et révisé par Normand Renaud.
Dan Bédard a œuvré en tant que réalisateur / arrangeur, musicien et directeur musical auprès de plusieurs artistes, dont Michel Dallaire, Jacinthe Trudeau et Stef Paquette. Il a été directeur musical pour plusieurs éditions de « Ontario Pop », du festival « Quand ça nous chante » et de « La nuit sur l’étang ». Au mois de mai 2017, il est présenté avec le Prix hommage pour l’ensemble de son oeuvre comme réalisateur, compositeur, musicien et concepteur sonore, lors du Gala Trille Or à Ottawa mai 2017, et fût récipiendaire du Prix de contribution exceptionnelle aux arts à la Célébration du maire pour les arts à Sudbury au mois de juin 2018.
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