Très jeune, j’ai été initié à la musique d’ici et d’ailleurs.
Depuis ma naissance et jusqu’à mes 14 ans, j’ai habité une maison de la rue Montague, dans le Donovan, à Sudbury.
Dans cette maison familiale vivait la propriétaire, qu’on appelait Grandma Spidalieri, une succession de familles italiennes nouvellement arrivées au Canada, dont les Ferruci et les Feola, et enfin notre famille, les Bédard.
Grandma avait une chambre au deuxième, les familles italiennes avaient le reste de l’étage et ma famille occupait le premier.
Ma famille avait accès à des toilettes dans le sous-sol, mais le seul bain, qu’on partageait tous, était au deuxième étage. Ça va sans dire qu’on est tous devenus très proches rapidement.
Les enfants Bédard et Ferruci/Feola jouaient beaucoup ensemble et arrivaient à se comprendre, en dépit du fait que tout le monde parlait sa propre langue. Nos familles soupaient souvent ensemble, partageant une variété de mets italiens et canadiens-français.
La musique faisait partie intégrante de nos rencontres. Un mélange de violon et de chansons traditionnelles italiennes et canadiennes-françaises nous servait de langue commune. C’était mon premier échantillonnage de musique internationale, bien avant qu’elle devienne populaire ici au Canada. C’est surtout Grandma qui a assuré l’élargissement de mon horizon musical en nous jouant des 78 tours de musique italienne folk et opératique sur son vieux phonographe. Écoutez un extrait ici.
Je partageais notre petit appartement à une chambre au premier étage avec mes deux grands frères, Michel (Mike) et Patrick, mon aîné de 6 ans. Mes parents, Mona et Charles (Charlie pour les intimes), faisaient de leur mieux pour gérer tout ça.
Dans sa jeunesse, mon père jouait du violon lors des danses de village à Saint-Charles, où il est né en 1922. Mais la vie l’a éloigné de ses rêves de musicien quand il a été envoyé en Europe pour la Deuxième Guerre mondiale où, de 1939 à 1944, il a subi trois blessures graves.
Il est finalement revenu au Canada et a épousé ma mère en 1947. Avec l’arrivée de mon frère Mike un an plus tard, il s’est trouvé « une vrai job » au smelter à Copper Cliff, où il a travaillé pendant 41 ans.
Malgré tout ça, il sortait encore son violon en famille au temps des fêtes, aux soupers avec les voisins et les samedis chez les beaux-parents. Le reste du temps, il le passait dans notre sous-sol à apprendre et à composer de nouvelles chansons qu’il enregistrait sur cassette. Mais il avait abandonné ses rêves d’être une star du violon et avait arrêté de jouer en public.
Un tournant décisif pour lui est arrivé pendant la grève d’INCO de 1978 à 1979, quand il a formé une band qui s’appelait The Snow Bank Crew, avec l’accordéoniste Laverne Pitzel (père de Shawn Pitzel, ingénieur de disque et claviériste) et d’autres piqueteurs. Mon père avait retrouvé le goût de jouer en public.
Plus tard, quand il a pris sa retraite, il a fait le tour des festivals et compétitions de violon et il a gagné plusieurs prix. Quelques années avant sa mort, on a finalement travaillé ensemble sur la création de deux enregistrements de sa musique originale. Et c’est avec fierté qu’en 2017, j’ai utilisé un extrait de ses chansons pour un spectacle projeté sur le Big Nickel en honneur au 150e anniversaire de l’Ontario. Il aurait été tellement heureux de savoir que, chaque soir, des gens étaient là pour l’écouter.
Au début, ma mère accompagnait mon père à la guitare, mais elle s’est éventuellement lassée de tout ça. Alors, quand j’avais 10 ans, mon père m’a proposé de m’acheter une guitare si j’étais prêt à apprendre les accords pour l’accompagner. J’ai dit oui et il m’a trouvé une guitare. Elle était usagée et horrible! Les cordes étaient si loin du manche que mes doigts étaient comme des petits funambules qui marchaient au-dessus des frettes à leurs propres périls. Et pour l’embellir, il avait mis une couche de schellaque. Ce n’était pas le meilleur instrument pour commencer une carrière de musicien, mais assez pour me donner le goût de continuer, malgré les défis.
Pendant ce temps-là, mon frère Pat suivait des cours d’accordéon avec Iona Reed. Je l’accompagnais souvent à ses leçons au sous-sol de la Prom Music School, où est aujourd’hui Stage and Street.
Assis dans la petite salle d’attente, j’entendais clairement la différence entre les sons qui sortaient de l’accordéon d’Iona et ceux produits par mon frère, malgré ses longues heures de pratique. C’est là que j’ai commencé à comprendre le niveau d’engagement nécessaire pour apprivoiser un instrument.
Mais ce n’était pas la seule leçon que mon frère m’a enseignée en musique. Un jour en 1969, après sept ans de leçons d’accordéon, mon frère alors âgé de 17 ans a décidé d’échanger son accordéon de 6000 $ contre une guitare électrique et un ampli qui en valaient 1500 $, sans en parler à mes parents. Il voulait jouer dans un groupe qui faisait des reprises des Beatles. Ça va sans dire que mes parents n’étaient pas très contents quand ils l’ont découvert!
Mais quelle leçon ai-je tirée de cet échange inégal? D’abord, mon frère, qui était mon babysitter, m’amenait souvent à ses gigs au Victory Park. Il me demandait de ne rien dire à mes parents et en échange, m’achetait des comics. C’est à ses concerts que j’ai vu pour la première fois sur les visages des spectateurs la joie amenée par une performance live. Et ça m’a donné envie de faire ça, moi aussi. C’était les années 60, alors il y avait peut-être d’autres facteurs qui contribuaient à leur bonheur, mais tout de même.
Ensuite, parce que mes parents étaient encore fâchés à cause de tout ça, ils n’ont pas voulu « gaspiller » plus d’argent sur des leçons de guitare pour moi. Alors était-ce la fin pour ma carrière musicale, avant même de commencer? Pas du tout! Car à cause de ça, j’ai dû trouver mes propres accords, mes propres tunings, à explorer. Et ça m’a permis de développer un style original bien à moi.
Et ma mère dans tout ça? Même si ma mère touchait un peu à la musique, son influence sur moi est venue d’un autre domaine. Comme beaucoup de membres de sa famille, ma mère était sculptrice de bois.
Je la regardais sculpter avec fascination pendant des heures. Elle se servait d’un petit couteau à patates, qu’elle a continué à utiliser même après qu’on lui a acheté un kit d’outils spécialisés. En sculptant, elle écoutait du BB King, du Patsy Cline, du Marie King, ou ses disques K-Tel de 100 Classical Themes.
De temps en temps, elle mettait un petit bloc de bois devant moi et me disait : « Si tu regardes assez longtemps, tu vas voir qu’il y a quelque chose de caché là-dedans. » Je n’ai jamais rien vu dans le bois. Mais aujourd’hui, je compose souvent de la même façon, en mettant un bloc de sons brut devant moi et en cherchant ce qu’il se cache à l’intérieur.
Et le nom de ma compagnie? Sound Sculptures Sonores.
Restez à l’affût pour la prochaine partie du blogue Quarante ans en musique : la carrière de Dan Bédard !
Ce blogue a été rédigé par Dan Bédard et révisé par Normand Renaud.
Dan Bédard a œuvré en tant que réalisateur / arrangeur, musicien et directeur musical auprès de plusieurs artistes, dont Michel Dallaire, Jacinthe Trudeau et Stef Paquette. Il a été directeur musical pour plusieurs éditions de « Ontario Pop », du festival « Quand ça nous chante » et de « La nuit sur l’étang ». Au mois de mai 2017, il est présenté avec le Prix hommage pour l’ensemble de son oeuvre comme réalisateur, compositeur, musicien et concepteur sonore, lors du Gala Trille Or à Ottawa mai 2017, et fût récipiendaire du Prix de contribution exceptionnelle aux arts à la Célébration du maire pour les arts à Sudbury au mois de juin 2018.
Acheter des billets pour le spectacle CAGE